Quality Street

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Après une année de retrait mediatique, le « vrai » deuxième album de Bruno enregistré à Londres, « Quality Street », sort en 2001 avec en premier single « Caramel », dont le clip avant-gardiste et choc ne passera presque nulle part. Suivra le titre « Souveraine ».

L'Anglais Pete Lewis a produit la moitié de l'album et a rassemblé un gang redoutable pour illustrer les visions de Gynéco, qui s'occupe lui même des samples pour les faire rejouer ensuite. Et là en l'occurrence par une nouvelle armée faite de fines lames du groove comme le bassiste Earl Robinson, le batteur-percussioniste Chuck Sabo, le guitariste Tim Cansfield, le clavier Nicky Brown et le pianiste Tim Vine. Des musiciens qui ont fait leurs preuves avec des soulmen tels que Al Green aussi bien qu'avec des groupes comme Moloko, Simply Red ou des artistes comme Peter Gabriel. Cœur de cible : l'éclectisme et le sens du beat.

Celui qui demandait dès son premier album à être classé dans la variété a accentué volontairement cette démarche. À l'exception du titre "Cousins", qui profite de la participation sonore et vocale de RZA, producteur et rappeur du Wu-Tang Clan, Quality Street n'a plus rien de hip hop. Sur une ambiance générale très pop plusieurs styles de la black music sont ici visités ou évoqués: soul ("Caramel"), reggae (Thief A Man, Mr Babylone), zouk (Souveraine) blues (L.O.V.E Story), etc. Le flow de Bruno est encore ralenti, et se rapproche du Gainsbourg de "L'homme à la tête de choux". En ce qui concerne les thèmes, il surprend encore. En prenant toujours plus de recul par rapport au monde du rap et en s'offrant une grande liberté artistique, Doc Gynéco apparaît sous un nouveau jour dans ce disque introspectif et personnel. À noter, d'ailleurs, qu'il comptait avec cet album abandonner son pseudo d'artiste pour simplement mettre en avant son vrai nom, Bruno Beausir. Mais Virgin a refusé et a seulement pris la peine de faire inscire "Bruno Doc Gynéco" sur la pochette du disque. Ainsi Bruno nous laisse entrevoir une personnalité parfois confuse, souvent touchante et sensible. Celui qui fut tour à tour adulé puis conspué - souvent par les mêmes personnes - se livre ici tout en douceur et en naïveté : "Personne n'a jamais su qui j'étais, ni quel était mon secret… le principal c'est que le message passait : la voix du cœur et le message de paix".

À partir de là, il se laisse aller sur 13 pistes, posant sa voix nonchalante au fil de chansons ironiques, provocatrices, ou sensuelles, comme à son habitude. "Secrets sucrées", dans le registre déjà surexploité par le Doc des métaphores sexuelles et des allusions coquines, est sans conteste le morceau le plus faible de l’album. Mais l’homme qui ne valait pas 10 centimes se livre aussi à des chansons-poèmes tout en nuances, comme avec "Noirs et Blancs" accompagné des choeurs et des accords de Laurent Voulzy, "J'sais pas remplir ma feuille d'impôt", titre au multiple sens, ou encore "Rue Mazarine", magnifique chanson consacrée à Mazarine Pingeot, et hommage au père de cette dernière, François Mitterrand. De toute évidence, il se laisse aller, en artiste intuitif, au gré de son inspiration.

S’il s’affranchit dans cet album de l’étiquette pesante héritée de son premier album, il n’hésite pas à décliner une nouvelle fois son célèbre "Dans ma rue" pour le morceau éponyme, "Quality Street" dans lequel les accents de sa plume se révèlent jouissif : "Jouer au rebelle rue la Chapelle, mais obligé de faire la vaisselle". Sans prétendre à de la haute littérature, les formules sont limpides et les intonations chaleureuses du rappeur coulent dessus en douceur. L’occasion de noter que les progrès dans l’écriture, déjà perceptibles depuis "L’homme qui ne valait pas dix centimes", sont à nouveau au rendez-vous, ce qui contribue à donner un parfum particulier à cet album. Aucun rappeur français, à part peut-être Oxmo Puccino, n'a été capable d'autant de détachement, n'a eu ce sens de la métaphore et de la formule évidente (ne pas confondre évidence et facilité).

Au chapitre des featurings, là où certains cherchent à se donner une contenance en multipliant les duos entre rappeurs, le Doc n'hésite pas à mélanger différentes influences pour se forger son propre monde. Certains y verront de l’opportunisme, mais accordons-lui que le choix de tels invités n’avaient rien de forcément évident et témoigne moins d’un calcul commercial que d’une réelle volonté d’échange. Sans complexe, il mêle ainsi sa voix à celle du reggae-man Gregory Isaacs, avec qui il fait une reprise très reussit de "Thief a man", titre phare de son invité. La participation de l'actrice Chiara Mastroianni n’annonçait rien de bon a priori. Pourtant celle-ci vient murmurer quelques mots sur "Trop jeune", entre les rîmes d’un Doc Gynéco qui ne force pas non plus sa voix, pour une atmosphère sombre mais au final très agréable et une conclusion propre à son auteur : "je ne suis pas trop jeune pour rêver".

Et c'est ce qu'il fait, il rêve, il flotte et divague dans un monde qu'il s'est créé et qui est loin d’être déplaisant. Rares sont les chanteurs actuels, qui à la manière de Souchon, arrivent à créer un univers aussi poétique, singulier et autonome. Il se révèle ainsi plus mélancolique, et arrive encore à nous surprendre, comme pour mieux nous perdre… La fausse piste west-coast du premier single, "Caramel", en offre d’ailleurs un nouvel exemple pour celui qui se refuse pourtant à nous servir "La poudre au yeux". Tout est dans le paradoxe, c’est aussi un des charmes de cet album, dont les points faibles trouvent toujours un contrepoint à leur mesure. La candeur parfois excessive ou la tendance à la provocation facile nous auraient fait pester chez quelqu’un d’autre, mais chez Doc Gynéco, cela rajoute seulement un peu de sel à un personnage d’autant plus touchant qu’il semble sincère.

L’aspect expérimental et intimiste du disque est un risque commercial certain que l’artiste assume. L'album se vend effectivement très mal. Malgré sa maturité et son évolution artistique plus que reussit, Gynéco n'interesse plus ce qui a été "son" grand public, qui, un peu déboussolé par tant de changements, passe à autres choses.

Aussi, la donne a changé dans le rap business, le rap hardcore devenu très à la mode (avec des groupe comme Lunatic, 113, Rohff), remplace les tubes de Stomy Bugsy, Passi et consort sur les ondes de Skyrock.

Durant cette même année, Bruno et Stomy, le fameux "duo du quartier", se sont retrouvés en studio et ont enregistré un disque ensemble. Cet album commun qui devait avoir pour titre "Double Pénétration", n'a jamais pu arriver dans les bacs des disquaires à cause des maisons de disque respectives des deux artistes (Virgin et Sony) qui n'ont pas su trouver entre elles d'arrangements pour le sortir. Aujourd'hui encore cet album reste inédit.

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