Paŭlo Paal (Verdaj Donkiĥotoj)

Un jeune paysan très pauvre, Paul, est envoyé dans un sanatorium aux frais de l'état: Les travaux de la terre, le tabac et un maigre régime alimentaire l'ont épuisé. Il a peu d'instruction et les autres malades se moquent de sa naiveté. Lors d'une promenade, il fait la connaissance d'une jeune aveugle, Liza, qui se met en tête de le tirer de sa condition. Elle l'incite à lire, apprendre et se développer. Paul met alors son séjour à profit pour cette nouvelle tâche: il s'exerce à écrire, apprend le braille, et lit.

Remis sur pieds, il retourne à sa campagne, où les villageois le regardent avec méfiance: Un paysan amateur de livres! Il se sent d'ailleurs lui-même devenu étranger, seules ses bottes le retiennent encore à la glèbe. Mais il fait la connaissance du tailleur Mihok, qui le saoûle d'une propagande monumentale pour la langue internationale espéranto; Paul, qui se souvient que Liza connaissait cette langue, se laisse facilement convaincre.

Un jour, Anika Toth, fille d'un riche paysan manigance un prétexte pour entrer chez Paul, et lui fait une scène en voyant la photo de Liza. Paul n'est pas dupe et se demande ce qu'elle peut bien lui trouver. Lors d'une rencontre d'espéranto organisée chez Liza, Paul et sa bienfaitrice qui se retrouvent seuls face-à-face ne peuvent s'avouer leur amour: "et deux coeur enterrèrent ainsi un vif sentiment... parce que les lèvres restèrent muettes."

Paul rentrant en train chez lui, est accueilli par Anika, qui l'enjoint de fuir, les gendarmes étant à sa recherche. Les services secrets pensent aussi qu'un paysan chez qui on trouve des livres est plus que suspect. Heureusement Liza, qui a un ministre dans sa famille, intervient en sa faveur.

La sortie de prison de Paul lui vaut un regain de sympathie auprès des villageois. Paul demande la main d'Anika, mais son père refuse violemment. Anika décide de vivre tout de même avec Paul, qui met toute son énergie dans son travail et dans ses activités d'espérantiste. Il obtient un poste subalterne dans une école. Mais le fossé se creuse avec Anika qui ne peut le suivre dans ses activités intellectuelles. Un jour, le père se sentant mourir, veut se réconcilier avec sa fille: Qu'elle épouse donc Paul s'il renonce à ses livres et reprend ses bottes de paysan. Ce que ce dernier accepte, non sans regrets... Baghy nous confesse que le modèle de Paul lui dit un jour: "Quelle chance tu as, la paix règne entre ta bibliothèque et ton épouse!"

[modifier] Commentaire

Selon Marjorie Boulton, ce roman est un peu un vol d'essai; mais celui d'un balbuzard, pas d'un passerau!

[modifier] De l'espéranto et ses vertus émancipatrices

Ecrite dans un style simple et classique (proche de celui de Zamenhof), cette histoire relativement brève (une centaine de pages tout au plus) illustre les vertus émancipatrices de la langue internationale, mais qui aime bien châtie bien, et Baghy ne se gène pas pour critiquer ses samideanoj (ceux qui partagent une même idée: l'espéranto en l'occurrence).

La critique peut être bon-enfant. Le personnage de Mihok est très attachant, justement parce qu'il représente tous les excès de certains avocats de l'espéranto un peu trop zélés: Respect du quasi-divin Maître Zamenhof, tendance à appeler tout le monde homfrato (mon frère en humanité!), clichés abstentionnistes (pas d'alcool, pas de cigarette, pas de viande!) et abus de rhétorique sur la interna ideo. Mais l'excessif Mihok est bien forcé de constater que tous ses samidanoj ne sont pas comme lui, d'ailleurs Julio Baghy fume et Raymond Schwartz boit!

La critique peut être aussi plus directe: Tout les espérantistes des années 30 n'ont pas été imperméables au racisme ambiant, et dans la Hongrie de cette époque il était possible pour certains de défendre l'espéranto tout en raillant les Juifs, il était même possible de fonder un club patriotique d'espéranto. Baghy nous laisse un témoignage amer sur la situation, à mettre en parallèle avec les analyses de Ulrich Lins sur La dangxera lingvo (la langue dangereuse).

[modifier] À l'émancipation des classes laborieuses

Dans le même temps Baghy se laisse aller à toutes sortes de considérations progressistes -- il fait traiter Paul plusieur fois de sale socialiste -- sur la politique, l'imbécillité des lois (en particulier sur le mariage), le peu de secours qu'offre la religion. Le thème général du paysan qui veut s'élever au dessus de la condition de sa classe sociale, et sur la route duquel se dressent toutes sortes de barrières -- le devoir de travailler pour se nourrir, la méfiance des gardiens de l'ordre public, le conservatisme de la belle famille, la jalousie de la femme contre les livres -- participe totalement de ce courant idéologique.

Il faut reconnaître cependant qu'on n'a pas non plus affaire à un livre de pure propagande communiste, puisque le salut, pour Paul, vient chaque fois de cette fille de bonne famille, Liza, qui ne cesse de l'aiguilloner et de l'aider, même après qu'il ait ôté à celle-ci ses derniers espoirs romantiques.

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Catégories : Roman de langue espéranto • Roman paru en 1933