Histoire sociale
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L’histoire sociale est l’une des principales branches de la recherche historique ; elle s'intéresse à l'histoire de la société ou d'une de ses composantes.
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[modifier] L'histoire sociale comme prétention à l'histoire totale
Dans la première moitié du XIXe siècle, François Guizot, Augustin Thierry, Adolphe Thiers et Jules Michelet sont les premiers historiens à accorder dans leurs œuvres une place importante à l'histoire sociale. L'historiographie était jusque là dominée par une vision politique. La lutte des classes chez Guizot, des races chez Augustin Thierry, du peuple chez Michelet remplacent les rois comme moteurs de l'histoire. Cette lecture ne donne plus le premier rôle au prince mais à un acteur collectif (la bourgeoisie, les Francs, les Gaulois...).
Marx reprend à Guizot l'idée de « lutte des classes ». Pour lui, tout phénomène historique peut être considéré comme l'expression de rapports conflictuels entre une classe dominante et une classe dominée. La classe étant défini d'un point de vue économique (elle possède ou non les moyens de production et d'échange) et sociologique (elle a conscience de son unité, de ses intérêts communs).
La vision marxiste donne donc la primauté à une lecture économique et sociale de l'histoire. Elle influence de nombreux travaux historiques en France. Dans sa thèse sur la crise de l'économie française à la fin de l'Ancien Régime, Ernest Labrousse constitue des groupes sociaux (fermiers, salariés des villes, propriétaires exploitants, propriétaires non exploitants...) à partir de leur niveau de fortune et de leur place dans les rapports de production. Il interprète le déclenchement de la Révolution française comme la conséquence de la dégradation de revenu chez certains de ces groupes. L'économique et le social sont donc intimement liés pour expliquer l'histoire politique.
Le paradigme labroussien séduit de nombreux historiens français après-guerre. Les thèses d'histoire économique et sociale, enrichies d'analyses statistiques, abondent : Pierre Goubert, Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730, 1960, Emmanuel Le Roy Ladurie, Paysans du Languedoc, 1966, Pierre Vilar, la Catalogne dans l'Espagne moderne, 1962, Pierre Chaunu, Séville et l'Atlantique (1504-1650), 1969, Gabriel Désert, une société rurale du XIXe siècle : les paysans du Calvados (1815-1895), 1971...
Le dynamisme de l'histoire sociale est symbolisée par le développement des recherches en démographie historique. Les états-civils sont dépouillés afin de dresser des tableaux statistiques sur la natalité, la mortalité, la fécondité, la nuptialité ou encore l'alphabétisation. En 1965, le premier numéro de la revue les Annales de démographie historique paraît.
[modifier] Déclin du paradigme labroussien
Cette histoire sociale née contre une vision trop politique de l'histoire tombe à son tour dans l'excès. Elle oublie l'individu comme si chacun est emporté par des forces plus fortes : la classe ou la conjoncture économique. A tel point qu'on peut se demander la part de liberté des hommes dans l'accomplissement de leur histoire.
A la fin des années 1980, l'effondrement du communisme provoque un discrédit de tout ce qui rappelle de près comme de loin le marxisme. Le paradigme labroussien devient l'objet de mépris. Les historiens se détournent des concepts de classe et de lutte des classes.
[modifier] Le glissement vers une histoire socio-culturelle
Comme d'autres branches de la recherche historique, l'orientation vers l'histoire des mentalités (devenue l'histoire culturelle) renouvelle l'histoire sociale dès les années 1960. Les groupes sociaux ne sont plus vus uniquement sous l'angle économique. Les historiens s'intéressent à leur culture, leurs pratiques, leurs croyances et leurs attitudes. On s'interroge sur les échanges culturels des classes populaires et celle des élites (la pratique de sports par exemple). On essaie de cerner la construction identitaire de certains catégories [1].
Autre mutation de l'histoire sociale : elle porte son attention sur des groupes dont le fondement n'est pas économique. Il s'agit aussi de groupes souvent oubliés de la recherche : les femmes [2], les immigrés [3], les personnes âgées [4], les banlieusards [5]...
Quelques historiens s'attaquent à la rigidité des classifications sociales. En étudiant la bourgeoisie parisienne du XIXe siècle, Adeline Daumard bouscule le postulat définissant la bourgeoisie [6]. Est-elle si monolithique ? A-t-elle véritablement une conscience de classe ? Jean-Luc Pinol cherche lui à s'extirper entièrement de ces classifications. Pour saisir la mobilité sociale dans la ville de Lyon, il se situe à l'échelle de l'individu (et non du groupe ou de la classe) et suit leur parcours tout au long de leur existence [7].
[modifier] Multiplication des sujets, éclatement de l'histoire
Dans la même idée, Antoine Prost constate que l'histoire sociale évolue vers la reconstitution d'univers colorés, chaleureux, savoureux, donnant lieu à une description presque anthropologique. Les monographies nous font pénétrer dans l'intimité d'un fonctionnement social ou individuel. C'est en effet l'objet d'un courant historique appelé la microstoria. Carlo Guizburg nous entraîne par exemple dans l'univers d'un meunier de la Renaissance et Giovanni Levi dans celui d'un exorciste de village [8]. En France, Le Monde retrouvé de Louis-François Pinagot (1998) d'Alain Corbin se situe dans la même veine puisqu'il propose de récréer l'environnement d'un inconnu : un simple sabotier du Perche. Dans ce genre, l'explication, la recherche des causes devient moins intéressante.
Dans l'histoire en miettes (1987), François Dosse regrette cette évolution. Les historiens de l'histoire sociale ne prétendent plus à une explication globale des sociétés. Ils tentent rarement de grandes synthèses comme dans les années 1970 et 1980 (Histoire de la France rurale, histoire de la France urbaine, Histoire économique et sociale, Histoire des Français) et s'attardent au contraire sur des microcosmes. Ils n'osent plus se lancer dans des histoires totales qui embrasseraient les aspects politiques, culturelles, sociaux et économiques mais préfèrent étudier des sujets de portée réduite.
[modifier] Les grandes dates de l’histoire sociale en France et dans le monde depuis 1791
1791: Loi Le Chapelier sur l’interdiction des associations ouvrières et des coalitions.
1804: L’article 1781 du Code civil consacre l’infériorité légale de l’ouvrier face à l’employeur.
1806: Création des conseils de prud’hommes.
1814: Loi sur le repos dominical.
1833: Création de l’inspection des fabriques en Angleterre.
1840: Villermé publie son « Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les filatures de coton, de laine et de soie ».
1841: Création de l’inspection du travail des enfants en France.
1848: Création de la Commission du Luxembourg, considérée comme la première administration du travail en France.
1864: Abolition du délit de coalition.
1868: Abrogation de l’article 1781 du Code civil.
1871: Insurrection de la Commune de Paris.
1880: Abrogation de la loi sur le repos dominical.
1883: Instauration des premières assurances sociales obligatoires en Allemagne.
1884: Loi Waldeck-Rousseau sur les syndicats professionnels.
1890: Première conférence internationale sur la législation du travail à Berlin.
1892: Création d’un corps unique d’inspecteurs du travail d’Etat en France.
1893: Loi sur l’hygiène et la sécurité dans les établissements industriels.
1895: Création de la CGT.
1898: Loi sur les accidents du travail.
1901: Création de l’Office International du Travail.
1906: Rétablissement du repos dominical. Création du Ministère du Travail.
1919: Création de l’Organisation Internationale du Travail. Loi sur la journée de huit heures. Création de la CFTC.
1935: Aux Etats-Unis, le président Roosevelt fait adopter le « Social Security Act » (mise en place d’un système national d’assurance vieillesse et d’une assurance chômage).
1936: Victoire électorale du Front populaire. Accords de Matignon aboutissant à l’instauration de la semaine de quarante heures et des congés payés.
1942: En Angleterre, le rapport Beveridge préconise la mise en place d’un système de sécurité sociale généralisé, unifié, uniforme, centralisé et global.
1944: Adoption du programme du Conseil National de la Résistance. Abrogation de la Charte du travail. Création de la CGC.
1945: Instauration des comités d’entreprise et du contrôle de l’emploi. Création de la Sécurité sociale.
1946: Le Préambule de la Constitution de la IVème République reconnaît le droit à l’emploi et le droit de grève. Création du CNPF.
1947: Création de la CGT-FO.
1950: Instauration du SMIG.
1956: Loi sur la troisième semaine de congés payés.
1958: Adoption de la Constitution de la Vème République, qui reprend à son compte le Préambule de 1946. Création de l’UNEDIC.
1964: Création de la CFDT.
1966: Création de l’AFPA.
1967: Création de l’ANPE.
1968: Evénements de mai et juin. Accords de Grenelle. Loi relative à l’exercice du droit syndical dans l’entreprise.
1969: Loi sur la cinquième semaine de congés payés.
1970: Instauration du SMIC.
1971: Loi sur la formation professionnelle.
1973: Création de la Confédération européenne des syndicats (CES). Loi sur la résiliation unilatérale du contrat de travail.
1975: Loi sur l’autorisation administrative de licenciement.
1977: Accord interprofessionnel sur la mensualisation.
1982: Instauration de la semaine de trente-neuf heures et de la cinquième semaine de congés payés, en vertu d’un accord interprofessionnel signé l’année précédente. Lois Auroux sur le droit d’expression et la négociation collective.
1983: L’âge légal de la retraite est fixé à soixante ans.
1986: Suppression de l’autorisation administrative de licenciement.
1987: Loi Séguin sur l’aménagement du temps de travail.
1989: Loi sur la prévention du licenciement économique et le droit à la conversion.
1993: Loi quinquennale relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle.
1996: Loi de Robien sur l’aménagement et la réduction du temps de travail.
1998: La loi Aubry prévoit l’instauration de la semaine de trente-cinq heures à partir du 1er janvier 2000 dans les entreprises de plus de vingt salariés et à partir du 1er janvier 2002 dans les autres entreprises. Le CNPF prend le nom de MEDEF.
2002: Loi de modernisation sociale.
2003: Loi Fillon sur la réforme des retraites.
2005: Loi de cohésion sociale.
2006: Création de la Confédération syndicale internationale (CSI).
[modifier] Notes et références
[modifier] Bibliographie
- Marie-Paule Caire-Jabinet, l'histoire en France du Moyen Âge à nos jours : introduction à l'historiographie, 2002 ISBN 2-08-083022-8
- Antoine Prost, 12 leçons sur l'histoire, Paris, Le Seuil, 1996 ISBN 2-02-028546-0
[modifier] Notes
- ↑ Jean-Louis Robert, Les ouvriers, la patrie et la révolution, Paris, 1914-1919, 1995
- ↑ Georges Duby et Michelle Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, Paris, Plon 1992
- ↑ Gérard Noriel, Le creuset français. Histoire de l'immigration, 1988
- ↑ Vincent Gourdon, Histoire des grands-parents, 2001
- ↑ Alain Faure, les premiers banlieusards, Aux origines de la banlieue de Paris, 1860-1940, 1991
- ↑ Adeline Daumard, la bourgeoisie parisienne de 1815 à 1848, 1969
- ↑ Jean-Claude Pinol, les mobilités de la grande ville, Lyon, fin XIXe siècle-début XXe siècle, 1991
- ↑ Carlo Guizburg, le fromage et les vers. L'univers d'un meunier du XVIe siècle, 1976, 1980 en France et Giovanni Levi, Pouvoir au village , carrière d'un exorciste dans le Piémont du XVIIe siècle, 1985, 1989 en France