Cristal qui songe

[modifier] L'histoire

[modifier] Résumé

Horty Bluett, un jeune enfant adopté, est renvoyé de l'école. Motif : il mange des fourmis. Cet événement pousse son père adoptif, le juge Armand Bluett, à l'enfermer dans un placard. Par accident, il lui sectionne alors les trois doigts de la main gauche. Las des maltraitances, Horty se résout à fuguer, n'emportant avec lui que Junky, son diablotin en boîte, un jouet qu'il possède depuis l'orphelinat et qui lui tient à cœur. Après avoir dit au revoir à son amie Kay Hallowell, il est recueilli, puis hébergé par une troupe de cirque ambulant, dirigée par le misanthrope Pierre Ganneval, dit "le Cannibale", un ancien médecin. Au milieu des nains et des autres "monstres" de la troupe, il va petit à petit faire face à son destin, aidée par Zena, la naine qui l'a reccueilli dans sa roulotte, tandis que le cruel Ganneval poursuit ses expériences secrètes sur de mystérieux cristaux qui songent...

[modifier] Les personnages

• Horton Bluett (Horty, Hortense, Kiddo): personnage principal de l'histoire. Au début c'est un enfant de huit ans; à la fin il a une vingtaine d'années. Il se découvre petit à petit, notamment grâce à son amie Zena.
• Zena: l'un des personnages secondaires. C'est grâce à elle qu'Horty est accepté dans la troupe du Cannibale. Elle se lie très rapidement avec Horty et forme un numéro de chant et de danse avec lui. C'est un personnage énigmatique qui en sait plus qu'il n'y paraît. Son rêve est de devenir une vraie femme (c'est une naine).
• Le Cannibale (Pierre Ganneval, nom de scène Méphisto): personnage cruel et sans scrupules qui méprise l'humanité. C'est le directeur de la troupe. Ancien médecin réputé, il sombrera dans l'alcoolisme suite au décès de l'un de ses patients sur la table d'opération.
• Kay Hallowell/le juge Armand Bluett: l'Amour et la Haine. Ils seront toujours associés ainsi dans l'esprit d'Horty. Kay Hallowell était une ancienne camarade de classe d'Horty, tandis qu'Armand Bluett était le père adoptif d'Horty.
• Autres personnages secondaires: La Havane, Bunny, Solum, Gogol... et les cristaux !

[modifier] Commentaire

Sous des abords naïfs de conte pour enfants, Theodore Sturgeon écrit une réflexion profonde sur la différence, l'humanité et la vie. En situant son récit dans le monde du cirque forain, peuplé de monstruosités et d'anomalies de la nature, il se sert de la difformité pour mettre en perspective les normes physiques et esthétiques des sociétés occidentales minées par le souci de l'apparence et la peur du différent. Mais l'auteur ne se contente pas de mettre en scène des personnages aux caractéristiques physiques outrancières, il force aussi le trait quant il s'agit de brosser les profils psychologiques des personnages de son roman : Ganneval, le dangereux misanthrope, Bluett, le parfait sadique manipulateur, Zena, la protectrice prête au plus grand sacrifice, Kay, l'ingénue faible et timide, etc., sans pourtant que cela nuise à la cohérence et à l'intérêt de son histoire.

[modifier] Rêves de cristaux

L'invention des cristaux qui songent est d'une étonnante originalité et la preuve d'une grande inventivité poétique. Theodore Sturgeon réussit même le pari de conserver entier le secret de ces cristaux intelligents dont le fonctionnement social et psychique restera une totale énigme, ce qui constitue sans doute la seule manière d'inventer une véritable altérité à l'humanité, un mode d'être totalement étranger à l'appréhension rationnelle des hommes. L'association de la vie et des songes n'est pas en soi une idée nouvelle, car elle est apparue dans le théâtre baroque espagnol et constitue même le titre d'une pièce du poète espagnol Calderón écrite au XVII^ème siècle : La vie est un songe (La vida es sueño). Mais alors que chez Calderón, la vie est simplement vécue comme un songe, Theordore Sturgeon mène plus loin son expérimentation littéraire en donnant à des cristaux étranges le pouvoir de créer une plante ou un être humain de chair et de sang rien qu'en y songeant.

[modifier] Vivre et survivre

Horty, doté de capacités sur-humaines, pouvant se régénérer ou se transformer par la seule force de son psychisme (mais en respectant l'impératif de la conservation de la masse), est aussi présenté comme un être immature et fragile. Comme le souligne explicitement Theodore Sturgeon, Horty n'est pas soumis au principe fondamental de l'existence humaine : la nécessité de survivre. Or cette dure nécessité est l'un des principaux stimuli de l'intelligence, développe les facultés d'adaptation au monde et conditionne le désir de résoudre les problèmes. Horty est certes doté d'une exceptionnelle mémoire "eïdétique", comme le dit Sturgeon, mais il manque cruellement d'initiative et ne contextualise pas sa pensée, accumule des connaissances acquises dans les livres, mais ne sait pas les utiliser. Son ultime confrontation avec Pierre Ganneval l'hypnotiseur le contraindra à prendre finalement en compte cet impératif de survie qui conduit les êtres humains à mobiliser toutes leurs ressources physiques et mentales. Mais la plus belle manière de survivre, c'est de vivre avec l'autre, dans l'empathie, l'amitié et l'amour, ce que découvriront beaucoup des personnages du roman au cours de leurs péripéties.

[modifier] La vie comme œuvre d'art

L'art joue un rôle certes secondaire, mais philosophiquement important dans ce récit et témoigne de la possibilité d'une vie heureuse dans la différence et malgré la difformité. « C'est une histoire étonnante et vraiment une œuvre d'art... » dit Horty à la fin du roman. Mais comment répondre à cet idéal romantique formulé par le philosophe allemand Friedrich Nietzsche, selon lequel il faut « faire de sa vie une œuvre d'art », lorsque l'on est difforme ou très différent ? Horty le comprend peu à peu en découvrant l'art moderne qui commence à défendre d'autres valeurs esthétiques et qui redéfinit et rend obsolète toute notion traditionnellement reçue du beau : Horty découvre les nouvelles approches picturales de Mondrian, qui abandonne le figuratif, et de Markell (inventé par Sturgeon ?), aux « silhouettes irrégulières et soigneusement disproportionnées » et le nouveau rôle primordial de la dissonance (à l'opposé des canons des l'accord parfait) avec les œuvres musicales de Béla Bartók, Arthur Honegger ou Dmitri Chostakovitch. Dans ce monde qui change, dans ce monde où la disproportion et la dissonance trouvent enfin leur place dans l'art et dans la société, vivre sa vie comme une œuvre d'art tout en assumant sa différence redevient possible, même pour des personnalités aussi hors-norme que Zena et Horty.

[modifier] Bibliographie

Première couverture de l'édition de poche

• Theodore Sturgeon, Cristal qui songe, traduit par Alain Glatigny, J'ai Lu, Coll. S-F, 1970
• Theodore Sturgeon, Cristal qui songe, traduit par Alain Glatigny, J'ai Lu, Librio Littérature, 1999

[modifier] Citations

• Leurs rêves ne sont pas des pensées, des ombres, des images, des sons, comme les nôtres. Ils sont faits de chair, de sève, de bois, d'os et de sang., p. 79
• Vois-tu Bunny, il y a un philosophe français qui a dit « Je pense, donc je suis.» Horty est la quintessence de cet adage., p. 189
• L'humanité est un concept familier aux anormaux : à leur grand désespoir, ils s'en sentent en effet tout proches [...], p. 192
• Il n'y avait rien dans ce monde étrange qui pût dissiper les ténèbres de l'inconscience., p. 214
• Il s'en dégageait une impression de permanence, de vie si prolongée que la mort n'était plus un facteur psychologique, mais une pure conclusion esthétique., p. 215
• Toutes les actions des créatures humaines procèdent d'un impératif unique :« Survis ! », p. 241

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Catégories : Roman de science-fiction • Roman américain • Roman paru en 1950