Boyan Papazov

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Boyan Papazov (né à Sofia le 2 décembre 1943) est relativement connu en tant que scénariste (Vsičko e ljubov, « Tout n’est qu’amour », 1978, et Edna žena na 33, « Une trentenaire d’aujourd’hui », 1982), mais peu connu en tant qu’homme d’État. Il a été député de l’Assemblée nationale constituante en 1991, dont il est fier d’avoir démissionné à temps ; conseiller du futur président Želju Želev lors de sa première campagne présidentielle ; attaché culturel aux Etats-Unis.

Sa célébrité en tant que dramaturge ne date que de la mise en scène à Sofia de Parler à ses puces (Baja si na bălhite), pièce désormais disponible en français dans une traduction de Tsena Mileva. Parler à ses puces a reçu le prix annuel de l’union des comédiens de Bulgarie en 2001. Elle a été jouée à la biennale « Nouvelles dramaturgies européennes », à Bonn, en Allemagne, en juin 2002. En mai 2005, Vos démons sont-ils à vendre ? (Prodavate li demoni ? ; titre anglais choisi par l’auteur : Demon sale) a reçu le prix de la meilleure pièce bulgare de la fondation « A'Askeer ». Le prix n’existait pas auparavant. Il a été créé pour récompenser des œuvres de cette qualité, avant même qu’elles n’aient été jouées à l’étranger.

D’emblée, il faut souligner que Boyan Papazov est l’auteur de 11 pièces, dont 7 écrites avant 1990. Une seule de ces 7 pièces a pu être jouée avant le début de la « transition démocratique » ou prehod, comme l’appellent les Bulgares (Glavanaci, 1985, mise en scène avec la collaboration d’Alexandre Tchobanov). Nous avons donc affaire à un dramaturge qui n’avait pas la possibilité de faire jouer ses pièces sous l’ancien régime. Paradoxalement, le Théâtre national de Bulgarie refuse toujours d’inclure les pièces de Papazov à son répertoire, et pas pour des raisons esthétiques : certaines sont écrites dans une langue presque standard, il n’y a que leur contenu politique qui continue à déranger. C’est ainsi que la pièce Nadežda l’aveugle (1978), qui dénonce les conditions de vie des personnes ayant un handicap sous le communisme, n’a été jouée qu’après le succès de Parler à ses puces. Une autre pièce (Iznesi me na gornata zemja, « Transporte-moi sur la terre supérieure », 1982), qui évoque la débauche sexuelle et la corruption morale de l’univers d’un cinéaste à la mode sous l’ancien régime, toujours vivant et vénéré, dérange autant aujourd’hui que lorsqu’elle a été écrite, bien que le cinéaste n’y soit pas nommé sous son vrai nom.

La censure a été un peu plus clémente envers Papazov quant à ses scénarios de films. C’est sans doute dû au fait que le cinéma était considéré comme moins dangereux que le théâtre. Le film Une trentenaire d’aujourd’hui (1982) a ouvert la voie au cinéma anticommuniste en Bulgarie. Papazov y dépeint les frasques d’un Professeur des universités, en gardant son vrai nom, qui voulait systématiquement obtenir des faveurs sexuelles de toutes ses étudiantes, en dépit de son âge avancé. Mes parents connaissaient le Professeur ainsi tourné en dérision et racontent que le film a eu un effet réel sur l’émancipation des jeunes femmes, qui pouvaient désormais lutter contre le harcèlement grâce au persiflage. Bien entendu, le harcèlement sexuel existe partout, mais en Bulgarie, le Professeur en question n’a même pas été menacé de sanctions administratives. Toutefois, le film de Papazov qui a eu le plus grand retentissement, tout en déjouant la censure, c’est le désormais classique Tout n’est qu’amour (1978). Le film est clairement une œuvre dissidente, en ce qu’il offre un aperçu des sanctions disproportionnées que devaient subir les jeunes délinquants sous l’ancien régime. La narration tourne autour des amours de deux adolescents, dont le garçon est un évadé d’une « Ecole de rééducation par le travail », institution confinant au camp de concentration pour mineurs. Avant le scénario, Papazov avait écrit une nouvelle, qui n’est parue qu’en 1999. Celle-ci remet en question la façon de s’attaquer aux causes de la criminalité juvénile. Les méthodes répressives des communistes ne faisaient qu’occulter les problèmes, sans les résoudre. Or, aborder le problème des camps pour mineurs pouvait être ressenti comme un pas vers l’évocation des camps de concentration pour adultes. Pour déjouer la censure, le film contourne la critique frontale en faisant passer l’histoire d’amour au premier plan. Néanmoins, la jeune fille tombée enceinte doit subir un avortement forcé, imposé par sa mère, ce qui fut suffisamment éprouvant pour le jeune public de l’époque.

L’œuvre cinématographique, théâtrale et en prose de Papazov forme un tout cohérent à plusieurs égards. D’abord et surtout en ce que la parole artistique y est toujours expérimentale, et jamais conventionnelle. Tous les personnages sont définis par leur idiolecte, par leur langage. On constate un refus de recourir à la langue littéraire standard, sauf lorsqu’elle correspond à une utilisation véridique. Mais contrairement à d’autres auteurs (un Radičkov, par exemple), ce n’est pas un dialecte qui prédomine, dans des utilisations d’ailleurs la plupart du temps sporadiques. Dans la nouvelle Tout n’est qu’amour et dans Transporte-moi sur la terre supérieure, c’est l’argot de Sofia qui prédomine. Dans La fureur (2005), on a droit à des passages d’une grande valeur ethnographique, puisant dans le parler des Karakatchanes, cette population nomade slavophone et hellénophone de la Macédoine grecque et des Rhodopes bulgares, qui s’est figé au dix-neuvième siècle. Dans Comme une mouche dans un tambour (Mua u tupan, 1986), nous avons affaire à un morceau de littérature en chope . Le fait qu’un Sofiote affiche une telle connaissance des dialectes n’est pas assimilable à une simple fumisterie. Le questionnement identitaire dans les Balkans ne passe-t-il pas par la réflexion sur la définition de la langue standard ? (Des linguistes de plus en plus nombreux pensent que le pouvoir n’aurait pas dû privilégier certains parlers bulgares par rapport à d’autres.) Dans Parler à ses puces, on est confronté aux perles de l’argot des taulards sous l’ancien et le nouveau régimes. Dans Vos démons sont-ils à vendre ?, on a affaire pour la première fois dans la littérature bulgare à un texte qui se veut le plus proche possible de l’oralité, mais que l’intellectuel bulgare a du mal à comprendre. L’argot des Tsiganes de Varna pose, semble-t-il, d’insurmontables problèmes de compréhension. Or, la littérature doit-elle être réservée aux élites ? Les Tsiganes n’ont-ils pas droit de cité en littérature ?

Pour finir, il faut peut-être dire un mot à propos de l’érotisme et de la sexualité dans l’œuvre de Papazov. Le public occidental risque d’être un peu repoussé par certaines scènes à cause d’un sentiment de saturation à la lecture des auteurs contemporains. Toutefois, chez Papazov, il s’agit toujours de briser des tabous tout en respectant, malgré tout, une certaine bienséance. Les personnages qui s’expriment vulgairement sont ceux qui ne peuvent pas parler autrement. En effet, l’emploi de termes dialectaux, désuets, tirés d’un argot ultra-recherché, voire ultra-codé, permettent de préserver une certaine décence.

Sur les 11 pièces, seulement quatre au total ont été jouées. Pourtant, la critique a estimé, à l’occasion de la parution du dernier livre du dramaturge, que nous avions affaire à un des meilleurs dramaturges bulgares de tous les temps.

Boyan Papazov est régulièrement invité en France depuis un an.