Bateaux marchands de l'époque classique
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Les bateaux marchands de l’époque classique étaient construits principalement avec du pin et du chêne. Ils étaient lourds et arrondis ou ‘pontés’ comme les vaisseaux ‘bien pontés’ dont parle Homère dans l’Odyssée . Ils naviguaient à l’aide d’une voile carrée sur un seul mât, comme ceux dont nous entendons parler aussi dans l’Odyssée , et que nous voyons dans les représentations sur des céramiques. Homère compare le pieu en bois d’olivier qu’il enfonce dans l’œil du cyclope au ‘mât d’un noir vaisseau de transport, à vingt bancs de rames qui franchit l’immensité des mers, tant elle était longue, tant elle était grosse à voir’.
Nous avons que très peu de représentations de bateaux marchands de l’époque classique, mais en combinant ces derniers avec les conclusions faites par des archéologues sur les épaves, nous pouvons aujourd’hui formuler une idée assez précise de la forme de ces vaisseaux. Une coupe de la fin du VIe siècle, qui se trouve au British Museum, montre un bateau marchand arrondi et comportant une voile carré (fig. 4) . La célèbre peinture murale du cinquième siècle, trouvée dans une tombe étrusque de Tarquinia, montre également un vaisseau marchand à voile carré . Et, un morceau de bol datant d’environ 520 représente un bateau marchand à voile carré . La forme de ce bateau est très arrondie aux deux extrémités, et nous voyons dans le bateau au moins cinq figures humaines en posture de travail.
Les travaux effectués sur l’épave classique de Kyrénia ont permis de reconstituer le bateau (voir page 16). Il a plus au moins la forme qui est représentée par les artistes de l’époque. Les analyses ont permis également de montrer que l’essentiel de ce bateau marchand a été construit en pin d’Alep. Des pièces d’accastillage et des anneaux de cargues retrouvées indiquent qu’un seul mât portant une voile carrée a été utilisée par ce bateau. Les conclusions des travaux ont aussi relevé que le bateau était équipé d’une cabine située à l’arrière, et d’une petite cambuse dans la partie avant. Une épave du sixième siècle, trouvée sur la côte sud de la France, portait aussi une voile carré.
Il est évident donc que des bateaux marchands de l’époque classique naviguaient à l’aide d’une voile carrée, mais ne devaient-ils pas avoir recours à la rame? Dans l’Odyssée, nous entendons parler de vaisseaux de transport à vingt rames et un équipage de vingt rameurs. Après une lecture d’Hérodote, certains historiens, notamment Humphreys et Snodgrass, maintiennent que les Phéniciens utilisaient des pentécontères pour le transport de marchandises à longue distance et que les Samiens du sixième siècle utilisaient une sorte de pentécontère adaptée spécifiquement pour le transport de gros tonnage. Pourtant, Hérodote nous dit seulement que les Phéniciens ont fait des longs voyages dans ces vaisseaux et ne suggère pas, à mon avis, un usage commercial. Trevor Hodge montre bien les désavantages de ce vaisseau dans le commerce dans son livre intitulé Ancient Greek France . Ces vaisseaux sont propulsés à la rame et ont besoin d’un grand équipage de cinquante rameurs.
Il me semble évident que, pour des fins commerciales, l’usage de vaisseaux nécessitant beaucoup de rameurs n’était pas la règle mais plutôt l’exception. De plus, sur les représentations des bateaux marchands nous ne voyons pas de rames. Elles devaient être utilisées en cas de nécessité où il n’y avait pas de vent suffisant ou où le bateau rencontrait un courant en contresens. Dans un des plaidoyers de Démosthène il est dit qu’un certain Hyblésios commandait un bateau marchand de vingt rameurs ; il y avait aussi un pilote et au moins un homme de proue . Il faisait un voyage au Pont sur un bateau capable de transporter trois milles amphores de vin. Ce vaisseau devait être d’assez grande taille comme l’épave retrouvée près d’Alonessos (voir page 12). A mon avis, Hyblésios n’aurait pas besoin de rames pour le voyage de retour en septembre quand les vents favorables suffiraient à pousser un vaisseau jusqu’en Grèce. Mais en revanche, il pouvait en avoir besoin pour naviguer contre les courants et lutter contre les vents en allant vers le Pont.
La plupart des épaves classiques retrouvées en Meditérranée sont en très mauvais état ; la coque est souvent écrasée, voire éparpillée, et très déformée après des siècles passés sous l’eau. Il est donc souvent difficile de reconstituer le plan exact du bateau, et en conséquence seulement une idée très approximative de la taille du vaisseau peut être proposée. Heureusement, nous avons parfois la possibilité de faire une estimation raisonnable.
La Kyrénia a été entièrement reconstruite à partir des plans de l’épave. Nous estimons la taille de ce navire à 14,50 m de longueur et 4 m de largeur et dont la capacité de charge était à une vingtaine de tonnes. Il s’agit donc ici d’un petit caboteur pour l’époque. D’autres épaves de l’époque ont permis des archéologues de proposer des tailles différentes. La coque de l’épave de Porticello a été estimée à environ 20 m de longueur pour une capacité de charge d’une trentaine de tonnes (voir page 20). Et, des vaisseaux de plus grandes tailles ont été trouvés il y a quelques années. Tout d’abord, la découverte de l’épave classique à Alonnesos a été d’une grande importance car il s’agissait d’un vaisseau d’une capacité de charge d’environ 120 tonnes. Ceci est un des plus grands navires marchands de l’époque étudiés par des archéologues. Cependant, il est probable que d’autres navires de cette taille se trouvent au fond de la mer ailleurs, et des indices soutenant cette dernière idée sont là. Par exemple, un cargo de barres de litharge a été trouvé dans l’Etang de Berre, près d’Adge. Il s’agit d’un cargo d’origine grecque, difficile à dater avec précision, mais nous pensons qu’il doit être d’entre le cinquième et le troisième siècle. Le cargo occupe une superficie de 20 m x 14 m et il est pensé qu’il doit peser une centaine de tonnes.
Des navires de grandes capacités ont évidemment transportés des produits lourds, tels le fer et le marbre à cette époque. Nous savons même par Thucydide que les Athéniens utilisaient tels navires ; ce dernier nous parle d’un navire de fort tonnage utilisé lors du siège de Syracuse à la fin du cinquième siècle . Snodgrass pense que des quantités de marchandises lourdes tel que le marbre et le métal ont souvent été transportées par mer depuis la période archaïque. Il reprend l’idée de Coulton qui maintient que les sculpteurs ou architectes étaient capables de déplacer des blocs de plus de soixante tonnes . Considérant que des très grandes épaves romaines ont été trouvées près de Syracuse : une épave d’un cargo de 350 tonnes de marbre, dont une partie était de Paros, a été trouvée à Isole delle Correnti, et une autre de 172 tonnes de marbre des mines près d’Athènes a été trouvée à Marzameni, il sera également raisonnable de penser que les navires grecques qui les précédaient de peu était capable de porter au moins la moitié du poids voire le même. D’ailleurs, Bolkestein pensait que des navires de trois cent tonnes existaient déjà à l’époque classique. Huvelin propose le chiffre de cent-soixante tonnes. Casson pensait que des navires de cent à cent cinquante tonnes étaient courants pour l’époque classique, et je le suis dans cette idée.
Je pense qu’il est également raisonnable de tenter d’estimer la capacité de charge d’un bateau marchand en utilisant quelques renseignements utiles que nous apporte Démosthène. Dans quelques plaidoyers, il parle des marchandises transportées par des négociants et parfois nous donne des chiffres. Dans le Contre Lacritos, nous entendons parler d’un navire transportant trois mille amphores, ce qui est du même ordre que l’épave d’Alonnesos, qui, elle, comportait trois à quatre mille. Si une amphore pesait en moyenne 26.5 litres, en faisant le calcul nous arrivons à un résultat de 105 tonnes ; sachant que des navires transportaient non seulement des amphores mais aussi d’autres produits ainsi que des personnes, il est raisonnable de conclure que des navires marchands de bien au-dessus de cent tonnes prenaient la mer à l’époque classique. En étudiant donc les épaves trouvées ces dernières années nous constatons d’abord une variété de tailles et en conséquence une variété de capacité de charge.
Les bateaux marchands utilisaient des ancres depuis ou avant l’époque archaïque et nous les rencontrons dans l’Odyssée . Il semble qu’au moins deux sortes d’ancres étaient utilisées à l’époque classique. Nous constatons ainsi l’usage de l’ancre pyramidale en pierre par les bateaux marchands. L’ancre de ce type retrouvé dans l’épave de La Madonnina (voir page 22) confirme cet usage . Une autre ancre de ce type a été retrouvé sur une épave classique à Ognina en Italie (voir page 23 ). En revanche, l’épave de Bon Porté, dont nous ne savons pas encore si elle est grecque ou étrusque, comprenait une ancre à remplissage en plomb tout comme celle retrouvé dans l’épave de Porticello.
Il n’est pas facile de savoir précisément à quelle vitesse ces vaisseaux naviguaient, mais nous pouvons faire quelques estimations . D’après Hérodote, il fallait quinze jours pour traverser la longueur de la mer Caspienne à la rame et huit jours pour la traverser dans sa plus grande largeur . D’après Hérodote, un navire pouvait faire sept cent stades en une journée et par vent favorable . D’après Thucydide, il fallait quatre jours et quatre nuits pour un vaisseau marchand, que le vent pousse continuellement, pour faire le voyage d’Abdère à l’embouchure de l’Istres, sur le Pont-Euxin , ce qui donne une vitesse de 5.2 nœuds. Le voyage de Néapolis carthaginois et la Sicile mentionné plus haut est d’environ 125 miles et prends deux jours et une nuit ce que donne une vitesse de 3.5 nœuds . Diodore de Sicile nous laisse aussi des indications sur les longueurs de traversées : d’après ce dernier la traversée de Rhodes à Alexandrie est de 325 miles et prend trois jours et demi pour une vitesse de 3.9 nœuds et celle de la mer d’Azov à Rhodes est de neuf jours et demi pour une distance de 880 miles et une vitesse de 3.9 nœuds. En lisant Pline l’Ancien, nous voyons des traversées d’Ostie jusqu’en Afrique en deux jours à une vitesse de six nœuds pour 270 miles, et de Messénie à Alexandrie, neuf jours pour mille miles ce qui donne une vitesse de 4.6 nœuds . Xénophon parle d’un bateau de pirates qui avait fait le voyage de quatre cent miles de Rhodes à Tyr en Phénicie en quatre jours mais aurait été retardé par des conditions défavorables, ce qui fait une vitesse de quatre nœuds . Xénophon d’Ephèse nous parle également d’un bateau de pirates qui avait effectué le voyage de quatre cent miles de Rhodes à Tyr en Phénicie en quatre jours, ce qui fait cent miles par jours ou une vitesse de quarte nœuds. Il nous dit que ce vaisseau a été retardé par des conditions défavorables ce qui veut dire que normalement le voyage pourrait se faire plus rapidement.
R. Van Compernolle a évalue la vitesse des vaisseaux grecs à l’époque classique à 125 km par 24h au minimum, 250 km au maximum à la voile et par vent favorable . Ceci correspondrait à une vitesse moyenne de 3.2 à 6.5 nœuds. Au cinquième siècle les navires étaient capables de traverser la mer Egéenne d’ouest en est en deux jours , et pouvaient atteindre Panticapée après seulement dix jours de navigation.
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